Ce n’est pas normal de mettre sa vie en danger pour étudier!»: à Cergy, les étudiants de l’ESSEC face à l’insécurité

Caroline Isautier
8 min readMar 28, 2022

Reproduit du Figaro. Je suis une ancienne ESSEC dégoutée par la gestion actuelle de l’école.

Par Nicolas Daguin. LE FIGARO

22 mars 2022

RÉCIT — Dans cette ville du Val-d’Oise, la délinquance «fait quasiment partie du décor», selon un commissaire de police. Une tache de boue sur le nom d’une des plus prestigieuses écoles de commerce françaises.

Tout commence par un mail anonyme adressé au Figaro en novembre 2021. Un certain «Tyler», qui se présente comme un étudiant de l’ESSECl’une des premières écoles de commerce en France -, souhaite nous faire part du climat d’insécurité qui se serait installé autour du campus, situé à Cergy (Val-d’Oise). La situation aurait «énormément empiré» ces derniers temps et serait «devenue invivable», selon ses mots. Il est question d’agressions, de vols avec violence et même de tentatives d’enlèvements. Le jeune homme affirme aussi que «nombre d’étudiants [seraient] traumatisés et ne [voudraient] plus prendre de cours terminant après le coucher du soleil par peur de rentrer seuls la nuit».

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S’il n’a personnellement jamais été victime d’aucune agression, Tyler assure que plusieurs de ses camarades n’ont pas eu sa chance. Ce dernier en veut pour preuve le groupe Facebook «ESSAFE», créé en 2017. «Nous l’avons ouvert après avoir constaté une recrudescence des agressions autour du campus, dans l’idée de pouvoir permettre aux étudiants de s’organiser entre eux au cas où ils devaient rentrer/venir seuls à l’école», explique Matthieu*, l’un de deux fondateurs du groupe, qui a depuis terminé son cursus à l’ESSEC. «On ne pensait pas que ce groupe allait devenir si important et s’inscrire dans le temps, le but était d’avoir une solution »temporaire » parmi tant d’autres à ce problème», relève-t-il.

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«Une cible de choix»

Cinq ans après sa création, «ESSAFE» comptabilise près de 5000 membres à son actif. Chaque mois, ce sont ainsi plusieurs dizaines d’étudiants qui font part de leurs mésaventures et qui s’avertissent des secteurs à éviter en temps réel. «Faites gaffe les gars après le tunnel du port dans le jardin y a 3 mecs capuchés qui coursent les gens», «Attention à vous au niveau du portique de l’Essec, j’ai failli me faire agresser par trois mecs mais j’ai réussi à me barrer en courant et en ouvrant rapidement la porte de la résidence!», ou encore : «Attention un groupe vole à la sortie du RER à la gare de Cergy. Ils arrachent les sacs à main». Les alertes en ce sens abondent.

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En outre, début septembre 2020, un document en ligne regroupant les témoignages d’étudiants de l’ESSEC, mais aussi d’autres établissements de Cergy a été créé. Il cumule aujourd’hui 82 témoignages, dont certains font état d’agressions d’une extrême violence. «La situation est alarmante. Ce n’est pas normal de mettre sa vie en danger pour étudier!», regrette Laura*, une étudiante de l’ESSEC qui a elle-même été victime d’une violente agression en août alors qu’elle rentrait chez elle après une soirée, à quelques dizaines de mètres seulement de l’école. La jeune femme assure qu’«un homme capuché» lui a donné un coup de taser au niveau de la joue, sans aucune raison apparente, avant de disparaître dans la nuit.

«J’ai vu ma vie défiler devant mes yeux»

Originaire de Marseille, Antoine* étudie à l’ESSEC depuis septembre 2020. Deux mois à peine après son arrivée, il a été victime d’une sauvage agression à quelques encablures de l’école. Actuellement en échange au Maroc, le jeune homme raconte. «Il était 18h, je sortais d’un cours de soutien en économie. Je rentrais chez moi quand un type m’a interpellé pour me vendre du shit. J’ai refusé, et trois autres individus l’ont aussitôt rejoint. Ils m’ont d’abord bousculé et finalement fait tomber contre un grillage. Ils m’ont dit »tu vas rester avec nous, on va te tuer ». Puis, ils m’ont mis un masque sur les yeux pour que je ne voie pas leurs visages et l’un d’entre eux a commencé à m’étrangler. C’était totalement gratuit. L’un de ses collègues lui a dit d’arrêter, voyant que je perdais connaissance. Ça ne les a pas stoppés pour autant, bien au contraire. J’étais au sol. L’un d’eux s’est assis sur moi, tandis qu’un autre me tenait les bras et un troisième les jambes. Le dernier me mettait des coups de pied. Ils m’ont pris mon téléphone, mon ordinateur portable et ma carte bleue. J’ai été contraint de leur donner les codes pour qu’ils aillent retirer de l’argent, ce qu’ils ont fait sans attendre. Après quoi ils m’ont dit qu’ils allaient »en finir ». J’ai vu ma vie défiler devant mes yeux, j’ai cru que j’allais m’évanouir. J’ai encore reçu des coups, j’étais terrorisé. Finalement, ils m’ont dit de compter jusqu’à 400 avant d’enlever le masque, ce que j’ai fait sans sourciller. Quand j’ai compris qu’ils étaient partis, je me suis empressé de rentrer chez moi. J’ai bloqué ma porte avec mon frigo et je me suis effondré. Depuis, il m’est impossible de mettre un pied à Cergy. Je multiplie les échanges à l’étranger et l’école a personnalisé mon cursus pour que je sois toujours à distance. Encore aujourd’hui, je reste marqué par cette agression. Les séquelles sont profondes. Le fait de sortir seul dans une grande ville m’angoisse terriblement.»

«C’est un phénomène que l’on connaît bien et qui dure depuis de nombreuses années, concède Laurent Laffont, le directeur de la sécurité de l’ESSEC. Nos étudiants ne sont pas spécifiquement visés par les jeunes désœuvrés qui traînent sur Cergy mais ils constituent une cible de choix car ils sont perçus comme ayant de l’argent et possédant des objets de valeur.»

«Une délinquance d’acquisition ou d’opportunité»

Un état des lieux partagé en substance par le commissaire divisionnaire de Cergy-Pontoise, Anthony Clementy. «Il règne dans le secteur du Grand Centre de Cergy, où se situe l’ESSEC, un sentiment d’insécurité évident, avec une délinquance qui fait quasiment partie du décor. Mais tout cela est à relativiser. Ce n’est pas pire qu’ailleurs en Île-de-France, observe le policier. On a d’un côté la présence d’une population en voie de déshérence et qui crée le sentiment d’insécurité, avec des SDF et des étrangers en situation irrégulière qui squattent les parties communes de certains immeubles et la gare RER, et de l’autre, une population assez jeune, qui s’adonne à une délinquance d’acquisition ou d’opportunité. Ces derniers sont des mineurs âgés pour la plupart d’une quinzaine d’années et qui habitent Cergy ou Pontoise. Ce sont eux qui s’attaquent aux étudiants, entre autres.» Par délinquance d’acquisition, le commissaire Clémenty entend notamment les vols avec violence, phénomène particulièrement prolifique à Cergy. Depuis 2017, entre 10 et 17 plaintes ont été déposées chaque année pour ce motif par des étudiants de l’ESSEC.

« Chaque action, autrement dit chaque fait d’agression rapporté, fait l’objet d’une réaction, que ce soit par le signalement aux autorités, l’accompagnement dans le dépôt de plainte voire jusqu’au tribunal lors des procès »Laurent Laffont, directeur de la sécurité de l’ESSEC

Soucieuse de la sérénité de ses étudiants, la direction de la prestigieuse école de commerce a fait de la question sécuritaire l’une de ses priorités. «On travaille au quotidien pour apporter le plus de sécurité possible à nos étudiants. Chaque action, autrement dit chaque fait d’agression rapporté, fait l’objet d’une réaction, que ce soit par le signalement aux autorités, l’accompagnement dans le dépôt de plainte voire jusqu’au tribunal lors des procès», pointe Laurent Laffont. Au total, ce sont 26 agents qui sont employés par l’école pour gérer la sécurité sur le campus et au niveau des résidences étudiantes. «Certains sont missionnés pour patrouiller le soir autour du parc François Mitterrand — qui est une zone sensible à certaines heures — tandis que d’autres escortent les étudiants dans leur résidence ou à la gare RER

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Depuis le 28 janvier, l’école a par ailleurs mis en place un système de navettes pour raccompagner les élèves chez eux. Deux minibus de neuf places chacun circulent ainsi quotidiennement de 18h à 0h30. «On expérimente ce système jusqu’au 30 avril, dans l’objectif de le pérenniser dès le 1er septembre prochain», détaille encore Laurent Laffont. L’ESSEC s’est aussi dotée d’un vaste dispositif de vidéoprotection. 75 caméras sont réparties rien que sur le campus, sans compter celles installées au niveau des résidences étudiantes.

Déploiement d’une Brigade de Tranquilité Nocturne

En outre, l’ESSEC met l’accent depuis plusieurs années sur le volet préventif. «Au moment de la rentrée les étudiants sont briefés sur les comportements à adopter et surtout ceux à éviter. On les invite à la prudence, en ne rentrant pas seuls chez eux par exemple ou en ne traversant pas certaines zones quand il fait nuit. On conseille encore aux jeunes filles de ne pas s’installer en rez-de-chaussée, pour qu’elles n’attirent pas l’attention d’une certaine population. L’objectif n’est pas de les effrayer mais de les avertir. Dans cette mission de sensibilisation, on travaille aussi beaucoup avec la mairie et la police. Le commissaire divisionnaire de Cergy participe d’ailleurs à cette réunion annuelle», appuie Laurent Laffont.

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Côté mairie, on vante la mise en place, dès le mois de mai prochain, d’une nouvelle unité de la police municipale, baptisée «Brigade de Tranquillité Nocturne» (BTN), et qui s’appuiera sur trois volets : médiation, prévention et tranquillité. «La sécurité est une compétence qui relève de la responsabilité de l’État. La police municipale ne remplace pas et ne doit pas remplacer la police nationale. […] Pour autant, la ville prend sa part et met en œuvre une politique de tranquillité publique», souligne Jean-Paul Jeandon, le maire (PS) de Cergy.

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Forte de 13 agents, cette brigade aura pour mission de «faire respecter les arrêtés du maire, notamment en matière d’interdiction de vente d’alcool à partir d’une certaine heure, de lutter contre les nuisances étudiantes et plus largement contre tous les tapages nocturnes et d’assurer une présence renforcée dans les trois centralités de la ville et notamment aux alentours des trois gares RER», comme l’explique la municipalité par voie de communiqué. La BTN fonctionnera six jours sur sept du lundi au samedi de 17h à 2h du matin. Soit deux équipages de trois policiers municipaux qui sillonneront la ville pendant ces périodes.

  • Les prénoms ont été modifiés

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Caroline Isautier

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